ou lorsque éparses elles tapissent certains dimanches
quelque pâtisserie chichement édulcorée
que les framboises échappent à aspirer
la fleur de mon âme
vers leur carénage,
complexe imbrication
de finesse, grondements, et émois humides.
Je m’étais épris à mon insu autant qu’au sien
lorsque pris au piège d’un grondement arrosé d’orage
annoncé seulement par une appréhension imperceptible
je l’avais régalée
mes mains formant écuelle de fortune
débordante pour l’occasion
de l’immédiate cueillette
en plein aveu d’arômes divins
à force de pluie soudaine tiédie d’été.
Elle s’était ri de cette récolte
effectuée au péril nigaud
d’une chute, probablement effroyable
à flan de coteau des voies ferrées
jouxtant l’insondable forêt,
hantée sans doute de l’instantané
d’une éradication fulgurante
sanction d’orgueil infantile
appelant la culbute
par les rafles de ronce
uniquement au nom
de la chimère d’une baie
dont l’érubescence
rendait insurmontable
qu’elle fût hors d’atteinte.
Bolansky
Délicieusement sensuelles, ces framboises.
Que n’est-on prêt à faire pour déguster ces délices de la nature!
J’aime les framboises…et le poème.
J’apprécie ton souvenir avec les framboises (moi j’en ai un avec des figues auquel je tiens) et les deux premières stophes me ravissent.
Je trouve la troisième un peu précieuse, avec un langage un peu trop recherché au regard du sujet traité, mais ce n’est que goût personnel. C’est une belle écriture.
Et si on passait à l’orange ? (Non, mieux vaut attendre le vert…).
L’orange, Francis Ponge, Le Parti-pris de Choses, 1942, Gallimard.
Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l’écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d’ambre s’est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, – mais souvent aussi de la conscience amère d’une expulsion prématurée de pépins.
Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l’oppression ? – L’éponge n’est que muscle et se remplit de vent, d’eau propre où d’eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L’orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, – et ce sacrifice odorant…c’est faire à l’oppresseur trop bon compte vraiment.
Mais ce n’est pas assez avoir dit de l’orange que d’avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l’air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l’accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte qui en résulte, et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s’ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l’ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l’avant – bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles.
Et l’on demeure au reste sans paroles pour avouer l’admiration que mérite l’enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon – buvard humide dont l’épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.
Mais à la fin d’une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, – il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d’un minuscule citron, offre à l’extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l’intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C’est en lui que se retrouvent, après l’explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, – la dureté relative et la verdeur (non d’ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d’être du fruit.
Francis Ponge 1899-1988