Un poème de Georg Trakl (1887-1914) traduit par Nathalie Varda :
« Psaume
C’est une lumière que le vent a éteinte
C’est une cruche d’incrédule que l’après midi un ivrogne abrège
C’est un vignoble brûlé et noir avec des trous plein d’araignées
C’est une pièce qu’ils ont peinte avec du lait
Le Fou a péri C’est une île de la mer du Sud
Pour accueillir le Dieu du soleil On bat les tambours
Les hommes mènent des danses guerrières
Les femmes balancent les hanches en pédoncules de plantes et fleurs de feu
Quand la mer chante Ô notre paradis perdu !
Les nymphes ont déserté les forêts d’Or
On enterre l’Etranger Alors se soulève une pluie scintillante
Le fils de Pan apparaît en forme de terrassier
Qui au midi s’assoupit au brûlant asphalte
Ce sont de petites filles dans une cour de ferme aux robes pleines d’une misère à vous déchirer le cœur
Ce sont des chambres emplies d’accords et de sonates
Ce sont des ombres qui s’embrassent devant des miroirs aveuglés
Aux croisées de l’hôpital se réchauffent des convalescents
Un blanc vapeur au canal charrie des épidémies sanglantes
La sœur étrange apparaît derechef dans les mauvais rêves de personne
Reposant dans le coudrier elle joue avec ses astres
L’étudiant peut-être un double la contemple longuement de la fenêtre
Derrière lui se tient son défunt frère Dans le sombre de la chambre aiment se mouvoir devant lui de curieuses choses
Dans la rouge jacinthe blêmit l’apparaître de la jeune infirmière
Le jardin est au soir Dans le cloître errent en voltigeant des chauves souris
Les enfants du maître de maison arrêtent de jouer et cherchent l’Or céleste
C’est une nuée qui se dissout Dans le feuillage le jardinier s’est pendu
Dans la maison de verre nagent au comble des couleurs brunes et bleues C’est le déclin vers lequel nous parvenons
Où les morts d’hier reposaient s’affligent des Anges aux blanches ailes broyées
Sous les chênes errent des Démons aux fronts brûlants
Dans le marais font silence des végétations écoulées
C’est un vent chuchotant dont Dieu déserte les errances tristes
L’Eté a brûlé le blé Les pâtres ont émigré
Où l’on continue d’aller on sent une vie plus aurorale
Les moulins et les arbres vont vides dans le vent vespéral
Dans la ville détruite la nuit relève des tentes noires
Comme tout est vain ! »
Georg Trakl.
Traduit par Nathalie Varda.
Wikipedia :
« Georg Trakl, né le 3 février 1887 à Salzbourg, Autriche et décédé le 3 novembre 1914 à Cracovie, est un poète autrichien. Il est l’un des représentants majeurs de l’expressionnisme. Georg Trakl laissa comme témoignage de sa vie tout aussi brève qu’intense — il est mort à l’âge de 27 ans — une œuvre sulfureuse composée de poèmes dont l’importance fait de lui un des poètes majeurs du XXe siècle.
En mettant en scène des personnages indéterminés comme l’orpheline, le voyageur, le vieillard, le novice ou des figures nommées comme Kaspar Hauser, Elis ou Helian, la poésie de Georg Trakl donne très souvent l’impression d’être impersonnelle. Il écrit à son ami Erhard Buschbeck : « Je resterai toujours pour finir un pauvre Kaspar Hauser[1] ». Le poète angoissé et torturé s’identifie de manière constante à son œuvre dont la genèse ne peut être pleinement comprise que par le rapport qui unit la poésie et la vie de Trakl. Si elle fait partie de l’expressionnisme, l’œuvre de Trakl en dépasse le simple cadre artistique. »