PPV DU 28 DECEMBRE 2012
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On enterre l’année comme on sème une graine
Au grenier s’entassent les moissons du passé
Pourtant de l’escalier ne reste que la rampe
Et par les nuits de vent on guette le murmure
Des voix éparpillées sous les tuiles disjointes
On attend de la lune qu’elle offre son reflet
Souvenir des couleurs qui se sont effacées
Pour les mêler à l’ombre de nos miroirs éteints
A la lueur du feu dont on salue la fougue
Assis dans un fauteuil on feuillette un herbier
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Etre au monde cela se mérite-t-il
Quand la joie telle une lézarde zigzagante
Raie la poitrine
Et se creuse un sillon jusqu’au coeur
Alors l’esprit fulgure
Et le courant électrique passe
D’une soeur à l’autre
D’arbre en arbre la forêt s’illumine
Les glaciers fondent dans les plis de la montagne
Et nous nageons vers cette île
Sortie de l’océan comme un sein
On y boit hors de tout bol
Un lait qui colore les cieux
Lorsque à l’aurore ils se mettent en scène
.
La carrière aux oiseaux conserve encore la trace des chenillettes
L’excavatrice rouille tranquillement, la pelle tournée vers le ciel
Des plaques de granit défectueux ont été abandonnées
Comme des tranches coupées à côté d’un grille-pain
Peu après le départ des hommes, il a poussé un arbre
Ou plutôt un arbrisseau de rien de tout
Aux racines boursouflées à force de chercher
Leur chemin entre un peu de terre apportée par le vent
Mais il a suffi de deux hivers, de deux printemps
Pour que sifflent les premiers merles
Il y a même un nid d’hirondelles entre les griffes de la pelle
Et aussi un pivert qui joue métallica.
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Il n’ est pas si tard et le jour se lève
Les grognements du chat à présent familiers
Le bercent gentiment
Lorsqu ‘il s’ aperçoit de la fuite des articles
Il bâille bien franchement
Ce qui fait clignoter tout en haut du sapin
Comme une jolie petite pomme de pin
Sa mémoire en veille
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On a reconnu
ECLAIRCIE
ELISA
HELIOMEL
et KZ.
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Monthly Archives: décembre 2012
VICTOR HUGO « Fuite en Sologne » (extrait)
Victor Hugo
« Fuite en Sologne
(Extrait)
(…)
II
« J’ai fui : viens. C’est dans l’ombre
Que nous nous réchauffons.
J’habite un pays sombre
Plein de rêves profonds.
Les récits de grand-mère
Et les signes de croix
Ont mis une chimère
Charmante, dans les bois.
Ici, sous chaque porte,
S’assied le fabliau,
Nain du foyer qui porte
Perruque in folio.
L’elfe dans les nymphées
Fait tourner ses fuseaux ;
Ici l’on a des fées
Comme ailleurs des oiseaux.
Le conte, aimé des chaumes,
Trouve au bord des chemins,
Parfois, un nid de gnomes
Qu’il prend dans ses deux mains
Les follets sont des drôles
Pétris d’ombre et d’azur
Qui font au creux des saules
Un flamboiement obscur.
Le faune aux doigts d’écorce
Rapproche par moments
Sous la table au pied torse
Les genoux des amants.
Le soir un lutin cogne
Aux plafonds des manoirs ;
Les étangs de Sologne
Sont de pâles miroirs.
Les nénuphars des berges
Me regardent la nuit ;
Les fleurs semblent des vierges ;
L’âme des choses luit »
(…)
Victor Hugo
« Fuite en Sologne »
« Les Chansons des rues et des bois »
L’eau l’heure et le jour
L’eau l’heure et le jour
Ont toutes licences
Hantés par l’amour
Ils troublent les sens
Et si l’on pardonne
Aux fées leurs erreurs
N’être plus personne
Agrandit mon cœur
Je vous aimais bien
Qui me le reproche
Le vent sait combien
Nos fronts furent proches
Quels yeux quel regard
Pour défier le monde
On me criait gare
Mais la terre est ronde
Mais l’herbe est sonore
Le torrent trop bref
Le teint se colore
Sans un couvre-chef
Si tu vagabondes
Rien ne sera plus
Pareil sur les ondes
Le diable évolue
Les trains les distances
La grange où l’on dort
Le drakkar qui danse
Et d’autres décors
Passent par ma tête
Je ne retiens rien
L’âne qui s’entête
Finit galérien
Les efforts de l’arbre
Pour s’acclimater
Transforment en marbre
Ce roi des étés
Si je reste en rade
A me tourmenter
L’oiseau vert s’évade
Et je suis sauvé
MERCI VIVIEN !!!
Patatoïdal
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Patatoïdale, ma trogne,
(four édenté à badigoinces,
du haut sphérique, drue du bas,
paire d’yeux cratères, voix d’interphone
et crépuscule en face des trous…)
est en monologue du tout
ce qui me noue le cœur noueux
dans sa barquette sous cellophane.
En ce moment moi et mes autres
n’avons plus en commun que le grave,
dans le café nous trempons à savoir
s’il est chaud ou pas assez.
Les bols, ici, sont prêts du soir
et j’en suis sûre, me pousse un groin
à la table du matin
tandis qu’une pluie tombe soudaine
comme une fourche sur un pied.
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Derrière le rideau
On dessine un rideau d’arbres
Pour ne plus voir le mur
Celui qui se rapproche jusqu’à frôler la joue
Que l’on tendait au vent
Dans l’aube naissante
Rejoignant la lune dans ses voyages
Ou bien vos paroles lancées aux nuages
Depuis la courbe des branches
Dont les feuilles aux nervures bleues
Conservaient l’empreinte par-delà les saisons
Et c’est contre l’écorce que l’on s’endort soudain
.
Quand on joue pour de vrai
la lame ne s’enfonce plus dans le manche
elle déchire les tissus
et atteint le coeur, sa cible.
Le chasseur qui pas à pas me file
même lorsque le soleil est derrière nous
subjugue dans le rôle de l’ombre.
Personne n’applaudit personne.
Le traître se trahit en saluant trop tôt
un public étonné de voir mourir la mort
(derrière le rideau jubile sa doublure).
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Le flot de véhicules nyctalopes
Se répand sur le sol
C’est un soir de décembre
Peut-être y a-t-il encore
Dans les carcasses de métal
Quelques rêveurs
Qui voient clairement
Les sommets d’un autre monde
Les autres ont disparu
Sans doute avalés par la nuit
Qui se faufile par les fenêtres
Imprudemment ouvertes
Seul demeure ce flot
Et personne ne voit l’oiseau
Ni cette voiture allongée sur le flanc
Abandonnée aux ombres
.
Parce qu’on a plusieurs vies
Ça ne devait pas durer plus que…
Mais on a pris le temps de…
C’était une nuit de veilleuse
Venues de l’arsenal
Il y avait des vapeurs d’alcool
Pleines de brouillard jaunâtre
À moins que ce ne soit le contraire
Des antilopes mirobolantes
Traversaient sur des clous de girafe
Les derniers vaisseaux brûlaient
Là-bas, du côté de l’arsenal
Parmi les cymbales et les pianos
Un arlequin se la coulait douce
Nous, on se promenait en cristal
Sous le pont des soupirs
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Derrière ce rideau : Héliomel, Eclaircie, 4Z et moi-même.
Jacques Prevel – Poèmes mortels (1945)
Enfant je me suis étonné
De me retrouver en moi-même
D’être un parmi les autres
Et de n’être que moi pourtant.
Plus tard je me suis rencontré
je me suis rencontré comme quelqu’un qu’on croyait mort
Et qui revient un jour vous raconter sa vie
Et ce mort en moi-même m’a légué son passé
je suis devenu un inconnu pour moi
Vivant à travers lui
Chargé de son message irréel et pesant.
Et la Peur est venue
De mon exil et de ce vide autour de moi
Du son de mes paroles qui n’atteignaient personne
Et de mon amitié incomprise et laissée
J’ai compté ceux qui sont venus
J’ai compté ceux qui sont partis
Ceux qui sont restés partiront.
***
Reflets
Trouvé sur le beau site de Poezibao, cet extrait du « dossier Antonin Artaud ». J’ai envie de partager cela avec vous.
« Des années passèrent lorsque je revis Artaud, sortir de sa longue claustration, entreprendre une conférence assis devant une petite table sur la scène du Théâtre du Vieux-Colombier. Vision inoubliable que celle de cet homme émacié, échevelé, se prenant la tête entre les mains décharnées, essayant de rendre compte de ses hantises, de ses illuminations forcenées. On vit, ce soir-là, Artaud pris au piège d’un univers grimaçant traversé de douloureuses magies, lancer à l’auditoire des phrases déchiquetées mais déchirantes Il perdait le souffle à vouloir délivrer cet univers de pureté qu’il voyait naître d’un éclatement de l’espace et du temps. Il apparaissait l’illustration vivante du dire de Rimbaud : « Nous ne sommes pas au monde ». Je ne crois pas que personne de ceux se trouvant, ce soir-là, dans la salle du Vieux-Colombier ait pu oublier cette présence tragique.
Jean Follain, Sur Artaud, dans La Tour de Feu, n° 112, septembre 1971, p. 138.
Marthe [Robert] et moi décidons d’aller voir Antonin Artaud, oublié de tous, « en traitement » à l’asile de Rodez depuis le début de la guerre.
Nous trouvons Artaud affaibli, terrifié. Un jour il laisse tomber devant nous quelques livres appartenant au directeur de l’asile, le docteur Ferdière (auteur : Gérard de Nerval !). Il veut ramasser les livres, n’y parvient pas, tremble de tous ses membres, nous lui venons en aide.
Il nous raconte sa vie à Rodez, accuse le docteur Ferdière de le terrifier : « Si vous n’êtes pas sage, monsieur Artaud, on va vous faire encore des électrochocs. »
Dans le train du retour, Marthe pleure, nous nous jurons, elle et moi, de sortir Artaud de Rodez. Nous y parvenons moyennant une caution d’un million et quelques. Vente aux enchères, menée par Pierre Brasseur. Donateurs : Braque, Picasso, Giacometti, Sartre, Simone de Beauvoir… Séance au profit d’Antonin Artaud au théâtre Sarah-Bernhardt. Y participent Jouvet, Rouleau, Dullin, Cuny, Blin…
La voix inoubliable de Colette Thomas récitant par cœur dans le noir – une panne d’électricité – un poème d’Artaud.
Artaud, le visage traversé de tics, ravagé, ridé, la bouche édentée, mais dont tout à coup s’échappait une voix retentissante, hurlante.
Nous noyés dans ses mots.
Antonin Artaud à la maison de santé d’Ivry. Il ne s’y trouve pas mal, y reste même souvent l’après-midi. Sa table tailladée à coups de canif. Marcel Bisiaux s’inquiète. Il pourrait bien se retrouver à Rodez, s’il traite comme cela les tables de café. Artaud sourit : « Voyons, Bisiaux, je ne taillade les tables qu’au Flore et aux Deux Magots » (les deux cafés où il était connu, où il avait déjà autour de lui une petite cour).
Quel autre exemple donner de la gentillesse et de l’humour d’Antonin Artaud ? Celui-ci peut-être. Un soir, chez Marthe [Robert] et Michel [de M’Uzan], il ne cesse de déblatérer contre ses persécuteurs, dalaï-lama, initiés, hauts dignitaires ésotériques de toutes sortes. L’impatience me prend, je lui dis que seuls sont ses ennemis ceux qui lui en veulent d’être supérieur à eux. Si complots il y a, c’est à Paris, et non dans un Tibet mythique, qu’ils se tiennent. Artaud demeure silencieux, j’ai bien cru qu’il ne me pardonnerait pas. Mais quelques jours plus tard, je le rencontre rue Bonaparte, il sourit, me prend le bras : « Dites donc, Adamov, on n’a pas discuté comme cela depuis les personnages de Dostoïevski. »
Arthur Adamov, L’Homme et l’enfant. Souvenirs, Journal, Gallimard, 1968, p. 80-82. »
La brèche
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La flamme s’acoquine avec le vent
Pour faire rendre à la bûche
Sa dernière sève
Qu’elle devienne suie scintillante
Flocons de neige noire offerts à la lune
Et l’on dort dans des draps rouges
Pour prolonger la danse
Des ombres sur les murs
Avant que la cendre ne se dépose
Au cadran de l’horloge
Dans les plis de l’étoffe
Au matin
On puise la lumière
Et l’éclat de ces voix pour réchauffer nos lèvres
.
Aujourd’hui la pluie tombe de bas en haut
On dit qu’elle s’élève vers les nuages
Et le soleil privé de la clarté de la lune
Des bougies l’éclairent parcimonieusement
Non il ne veille pas un mort
Ni ne s’exerce à lire dans le noir sans ses lunettes.
Quant à la terre elle se brosse les dents
Avec l’énergie d’un rabot en colère.
Que de surprises !
A combien d’événements insolites devrons-nous assister
Avant de serrer dans nos bras la fenêtre
En lui murmurant les mots dont toutes les fenêtres se gargarisent
Qu’elles soient fermées ouvertes ou asthmatiques.
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Après avoir puisé son eau
Au bord de l’océan troué
C’est la nuit que le Sélène
Se libère de sa palanche
.
Il danse au bal d’argent
Jusqu’à l’aube naissante
Alors seulement, sa respiration
Fleure la rosée du matin
.
Enfin la brume se lève
Comme un voile de mariée
Ce qui tombe plutôt bien
Car le Sélène est pudique
.
Quand la lune se hausse
Il migre vers sa face cachée
Et son voisin le Terrien
Ne se doute de rien
.
Un sursaut, une brèche dans le noir
Les maisons s’illuminent
La nuit sombre cède la place
Il revoit ces échelles qui montaient jusqu’à elle
Ces rubans de soie rose qu’elle portait en hiver
Comme un soir éclairé d’arcs-en-ciel
Il revoit cette ville jouissant de leur bonheur
Et les plaines d’Irlande
Assises au bord de la mer
.
Dans les rôles du vent, de la terre, de l’eau, du feu :
Elisa-R, Héliomel, 4Z2A84 et Eclaircie.
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Perspectives
pâlissant sous la lune
il nota sur son carnet
l’étrange blondeur
de certaines maladies
quand le vent lui disait
il allait par les prés
à la rencontre des lièvres
qui rongeaient en quinconce
l’herbe hautement décatie
il leur parlait de l’aberration verticale des arbres
des mobiliers marins à inventer
des grumeaux dans l’eau que sont les alevins
et qui ne sont supportables pour personne
il avait une tendresse particulière pour le ciel
qui devant la surabondance des fenêtres
glissait dès l’aube en morceaux
lancettes blanches sous ses lèvres
ses dents rencognaient au fond de sa gorge
ce qui par dessus tout l’enflammait
l’ineffable image de végétaux magnifiques
dévorant les astres
c’est par un soir de triste fête
tandis qu’une horrible lampe
courait après la nuit
qu’il boucla ses valises
pour partir à la recherche
de petites pousses criminelles
Un poème d’Egfrild, avec son aimable autorisation.