Archive mensuelle : juin 2012
Françoise Ascal
Deux poèmes de Françoise Ascal
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« Tu te souviens du mot puits. Autrefois il s’adossait au mot source. Tu le laisses rameuter sa noirceur opulente. Son joyau d’horreur. Secret d’enfance à la verticale de l’été. Enfonçure, appel, étreinte. L’inconcevable nuit, offerte par-delà la margelle. Le sans-fond à ciel ouvert. Œil magnétique, suspendu, oui, entre gouffre et source. Tu oscilles à hauteur d’herbe, prise en tenaille. Soleil et soif, poulie chantante, eau fraîche. Tombeau de cris, raclement d’ongles.
Tu te penches sur d’anciennes haleines.
Un froissement de fougères berce les noyés.
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Tu marches dans les nervures songeuses du millepertuis, dans les vaisseaux ramifiés de ton cerveau. Les cellules meurent ou prolifèrent, tu ne sais rien du grand chantier.
La forêt n’est pas vierge, la page n’est pas blanche et les chemins n’existent pas.
Tu dois marcher longtemps dans le blanc éblouissement du trop-plein de signes, dans le noir incertain des ombres mêlées.
Les morts en attente, alignés comme des troncs, dressent leurs branches défeuillées.
Tu dois marcher sans t’arrêter.
Sans t’encombrer de mots.
Que rien ne te retienne, si tu veux franchir la passe, si tu espères toucher du doigt l’or de l’énigme.
Françoise Ascal, Lignées, avec des dessins de Gérard Titus-Carmel, éditions Aencrages & Co, 2012. »
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Deux poèmes de Jean Follain (1903-1971)
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« L’éclipse de soleil
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A la lisière du champ un homme se promène,
il porte une chemise raide et glacée
et sa vue merveilleuse
lui fait lire trois heures au lointain clocher
et déjà dans le cour d’école
le maître à la barbe pointue
instruit les enfants dans le faux crépuscule,
il les fait regarder
par un carreau de verre fumé
sur quoi leurs doigts tachés d’encre violette
laissent des empreintes courbes et fines
Dans les volières s’endorment les bêtes
et sur les grand-routes assombries
les cavaliers maîtrisent leurs montures ;
dans les villes on éclaire les banques où sont des jeunes filles
émues et blanches aux grands guichets. »
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Jean Follain (« Chants terrestres » 1937).
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« Rigueurs et délices
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Une peinture en trompe- l’œil
fait les délices d’une servante
le vent déchire un ciel de tourment
on abat les cartes
dans le triomphe de la vie
une inconnue approche
qui sait des postures
éblouissantes
et la haie abrite près des nids
toute l’acidité des baies
mais que d’oiseaux
nous restent étrangers
que de couples s’éloignent ! »
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Jean Follain (« Territoires » 1953).
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Chères ténèbres.
Un poème de MC.B.
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«
J’ai coloré de noir ces instants qui devraient être bleus, venus de si loin.
Il me faudra prendre ma palette et tout repeindre.
Je choisirai la couleur de la nuit,
lorsque la lune lui donne cette teinte opaline,
lorsque les ombres des arbres frissonnent…
Quand la terre dort sous l’aile du moindre oiseau.
Quand les chevelures sur l’oreiller sont le refuge de toutes les vagues.
Quand l’eau suspend son souffle pour se délecter des reflets de l’astre lunaire.
Ne pas me retourner, savoir que les enfants n’ont pas d’âge,
que seules les pierres de ces murs élégants,
celles qui protègent, chantent à qui sait entendre.
Même si les jours diminuent désormais, les nuits sont à moi, le soleil n’y peut rien ! »
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MC.B.
Grappes de sommeil
Sur les tuiles luisantes
Le chant de la nuit se marie au vent
Quand le grenier soupire dans son sommeil
Les herbes folles esquissent une danse
Que tous les papillons reprennent
Loin des filets et des chauves-souris
Dans un murmure que les pierres retiennent
Au loin un pas résonne encore
Avant de se fondre à la musique
Puis tout s’efface dans la brume d’un souvenir
—
Un souffle léger vient du sous-sol
Le jardin a refermé sur nous ses longs bras verts
Quelques amis nous accompagnent en bavardant
La petite poule noire un peu ébréchée
Le gros cafard tout sombre qui se dandine gaiement
Et puis l’araignée de Redon avec sa bonne tête
La fête a lieu dans les profondeurs de la terre
Là où se réfugie la lune quand se lève le soleil
–
Je vous laisse tourner les pages de mon livre
Vents des quatre points cardinaux
Et je m’appuie sur vous comme sur un mur solide
Quand les grappes du soleil pèsent
Il s’est enfin levé cet astre cet astre paresseux
Cet orgueilleux dont la roue et les rails
Accaparent la salle du ciel où se jouent
En permanence ses drames et ses pantomimes
Et croyez-vous qu’il y invite la lune Nenni
Si je m’y trouve c’est sous un loup
Enveloppé dans une houppelande
A l’abri mes courants d’air ruent mon livre brûle
Mais la loge tout entière se fie à ton rayon ô lune
Pour attirer sur ses occupants pourtant frileux
Tous les regards de l’orchestre
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Cueillette réalisée par Eclaircie, 4Z et moi-même.
Printemps à l’école.
Un poème d’André Dhôtel.
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«Le printemps d’or. Regardez
les cimes naissantes
des peupliers éperdus
dans la jeune giboulée.
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Un enfant allait au collège.
Un chien traversait la place
et les grêlons couraient
sur les pavés de l’aurore.
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La plaisanterie entrera partout
jusque dans les salles d’études
où les livres éclateront
semant des fleurs d’imprimerie
sans aucun sens désormais.
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Les pensées latines et mathématiques
se seront enfuies dans la plaine
pour se déguiser en oiseaux,
en vieux pneus, en fontaines,
en musaraignes à l’œil fin
et en belettes méchantes. »
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André Dhôtel (1900-1991) « La Vie Passagère » (1978).
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CINQ SUR UNE BARQUE
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Le marabout est assis par terre. Une jambe repliée sous une fesse
La djellaba poussiéreuse. Un poulet picore sous le regard d’un chat famélique
– C’est combien ?
– Dix euros pour le passé, vingt pour le futur
– C’est pour offrir un présent, je choisis l’avenir
– Vous allez faire un voyage
– Oui, je sais, le retour Dakar-Paris
– Reprenez votre argent, on ne plaisante pas ici.
L’oeil du marabout roule dans son orbite de caméléon.
Il a accepté mes excuses et reprend :
– Vous allez faire un voyage
– Je vois une île et des volcans
– Des temples et des rizières
– Oui, et alors ?
– Vous n’en reviendrez pas
– Vous voulez dire que je vais me marier là-bas ?
– C’est possible, la séance est terminée
Sur la terre rouge, il a tracé un cercle avec un os de je ne sais quoi
Puis il s’est levé, est entré dans sa case, au pied du baobab
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La guitare acoustique enrage dans son coin
Au diable les violons et les contrebasses
Du plus profond de son corps les rythmes sauvages
L assaillent avec violence
La salsa ondoyante et la rumba nonchalante
Décrètent de nouvelles lois
Les accords seront brésiliens ou bien ne seront pas
Peut-être enfin n’entendrons-nous plus les sinistres notes
De nos accordéons, le ressac de cette mer à demi morte
Les chapelets égrenés dans d’ obscures églises
Les fanfares discordantes et au feu les lampions
La guitare acoustique enrage dans son coin
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En grand désordre les jours s’égaient
Ils se bousculent dans les halls de gare
Jouent des épaules parfois des coudes même au cerceau
Jonglent avec les chapeaux devenus inutiles
Que les voyageurs leur lancent par les hublots des trains
Avant de quitter leurs têtes qu’ils déposent sur les banquettes rouges
Les rails courent en tous sens pour arriver à l’heure des aiguillages
Des plages horaires ou de galets aux rives du matin
Les hauts parleurs s’époumonent dans le vide
Quand le soleil au couchant cède son siège au temps
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Parmi les bulles qui se forment
Au bout d’une paille trempée dans l’eau savonneuse
Apparaît la lune
Illusion d’optique
Le courant d’air la pousse devant lui
Mais elle est trop fragile pour durer plus que quelques secondes
Alors elle éclate
Et la pluie très fine produite par son explosion
C’est aussi la rosée sur ta lèvre supérieure ô Mère supérieure
Puis sous ma moustache un zeste de sueur
Quand nos bouches se rencontrent
Pour une lutte avec merci
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Des grenouilles acides se dorent
A l’ ombre d’ un soleil détrempé
Sur le sol désormais spongieux
Se découpent des empreintes
De pieds de mains et de nez
Une barque métallique dérive et
Se colle contre la cheminée
Surmontée d’ un parapluie à fleurs
Et d’ une famille de hérissons
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Les interprètes :
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Eclaircie, mezzo ;
Elisa, contralto ;
Héliomel, ténor ;
Tequila, soprano ;
4Z, baryton.
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L’heure des caniveaux lunatiques
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Pour toi la lune n’a aucun secret
Et tes confidences elle les écoute
En mère attentive aux paroles de ses enfants
Mieux que personne tu connais sa vie cachée
Celle qui se déroule du côté pile
Là où les lunatiques se réunissent
Afin d’y parler de la pluie et du beau temps
Sujet sur lequel ils ne sont jamais d’accord
Alors ils se fient au hasard
Et l’humeur de la mer dépend du caprice
Des dés qui roulent sur le tapis vert…
– Si nous perdons patience avec notre chapeau à qui la faute ?
Au souffle de la lune quand elle gonfle les joues
Pour éteindre en une seule expiration toutes les étoiles !
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Sur les pavés les gouttes n’osent plus se poser
Ne voulant pas froisser les reflets de l’aurore
Ni les roues des moulins devenues inutiles
Quand le blé encore vert se cache sous la terre
Et lorsque le meunier a pour seule pitance
Le pain sec d’un autre âge
Dans le caniveau la feuille reste blanche
Les plumes s’engluent dans le goudron
Les soupiraux guettent la lumière
Ils mendient l’éclat des vitraux de l’atelier
Où le peintre n’use que de craie
Pour esquisser les nuits d’orage
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Le fil d’Ariane se rompt enfin
Nous plongeons dans des nuits cotonneuses
D’où nous sortons grâce aux charmes
Des sorties de baignoires sur le fil du rasoir
Déjà 5 heures, un caténaire siffle sur la plaine
Qui ne fume plus depuis longtemps
Car ses artères sont encombrées
Des philtres des humains
Le jour lève un lièvre qui se relève
Oreilles pointées, museau dressé
Les arbres applaudissent le lever du soleil
Au milieu de sa cour de nuages
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Du couchant au levant : Héliomel, 4Z2A84, Éclaircie
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Par là…
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Au petit soir d’un coup de dé
Une nuage est entrée,
Par là,
Fenêtre ouverte,
A déambulé dans la pièce,
A goûté au moelleux des coussins,
Aux petits gâteaux.
Elle te ressemblait un peu.
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Les lunettes du tambour
Sous-titre :
Le chat et le moucheron dans la théière
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Une mer évanouie emplit d’orgueil
Ce moucheron maigrelet qui la porte
En soufflant mais fièrement
La plage envisage de s’évader
D’aller voir ses lointaines cousines
Blanches des matins pacifiques
De leur offrir coquillages et fraîcheur du nord
Pendant le rêve du moucheron et du sable
La brume s’enfuit laissant libre un large mur de vagues
Demain peut-être…
Nous n’avons d’yeux que pour la lune
Le soleil nous aveuglerait
Si nous le regardions de près
Fragilité tu m’importunes
Mes yeux faudra-t-il vous changer
Contre d’autres plus vigoureux
Certains commerçants font fortune
Quand au prix des lunettes noires
Ils fourguent un vieil éteignoir
Dont le cône n’étouffe qu’une
Chandelle sous son entonnoir
Soleil j’agissais pour des prunes
En te montrant le poing Ta gloire
C’est de fleurir et sans rancune
De chauffer l’eau de nos baignoires
De nos mers et de leurs lagunes
Le jour s’est levé si vite
Qu’il a réveillé les nuages
Accrochés aux étoiles
Même les oiseaux au nid
Surpris en sont devenus muets
Le café bout dans la théière
Le sucre et les cuillères jubilent
Du tintement des aiguilles de l’horloge
Essayant de combler le retard
Pour que le train franchisse le pont de l’aube
Sans éveiller les soupçons des chefs de gare
Ni des voyageurs encore dans la brume
La lune hautaine ce matin
Se drapera d’un rayon de soleil
Sous la pluie danse chat
La princesse l’ignore, elle doit apprendre
Et ce avant la nuit
Comment valser de fil en aiguille
En suivant le temps d’un métronome agité
Les quelques spectateurs endormis sur leur siège
Ronflent bruyamment au son du premier violon
Tandis que les royaux chaussons s’enfuient
Sur la pointe des pieds sans aucune élégance
La pluie a cessé Mistigri est fourbu
Il remballe ses ballerines et sort un Monte Christo
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Je ne suis qu’un modeste tambourineur
Quand Paris est triste
Que même les bouches de métro font la gueule
Que les champs ne sont plus Elysées
Je prends pied à Montmartre
Je joue
Il arrive
Traverse la Seine
Irise Notre-Dame
S’endort sur la conciergerie
S’en va comme il est venu
Le temps passé à observer un arc en ciel
Vaut qu’on oublie tout ce qui nous entoure
J’aurais aimé écrire ceci avec une plume sergent major
Je l’ai écrit tambour battant, forcément
On m’a nommé tambour major
Rassembleur d’arcs en ciel.
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Par :
Élisa, Héliomel, Téquila, 4Z et moi.