Je vous écris depuis un autobus
De Madeleine à Royale
Là on démonte des guirlandes
Ici on met des sacs sur les sapins
Des boutiquiers traits tirés
Lèvent lentement leurs rideaux fatigués
La Concorde passée on traverse la Seine
Des bouquinistes jaugent les Japonais
Les vélos se font arroser par les engins municipaux
Il y a des hérissons dans les porte-monnaie
Des oursins dans les poubelles des écaillers
Un oursin, c’est un hérisson qui n’a pas réussi
J’aime les années paires puisque je suis gaucher
—
Des tuyaux des caniveaux
Des chenaux des canaux
Scintillez, les balisées
Ruisselez, les cannibalisées
.
J’aime l’eau fraîche qui badine
Comme une note de mandoline
Celle qui fait plic ploc sur l’étang
L’oppressée du torrent
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L’orageuse d’un soir assassin
L’opaque et mystérieuse du bassin
La charmante cressonnière
La nappée buissonnière
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L’amère ferrugineuse
La douce limoneuse
La mélodie du chant de l’eau
Mêlée au vent me chaut
—
.
Le château d’en bas a ses racines dans celui d’en haut
Un simple tremblement d’eau les sépare
En bas, on marche au plafond, on caresse les corniches
En haut, on est sur un nuage, on caresse les duchesses
Il y a un toit dans l’eau, un autre dans l’air
Côté ardoises, du bleu s’oppose au gris
Les arcades font des ronds dans l’eau
Seule la douve reste impassible
On pousse une porte pour entrer dans le château d’en haut
Mais déjà vous voulez pénétrer dans le château d’en bas
C’est difficile, on ouvre la porte de la cave d’en haut, on descend
On gratte un peu le sol et on se retrouve dans la cave d’en bas
Les étiquettes des bouteilles sont décollées
Le vin s’est transformé en eau, les oiseaux en poissons
Les bulles préfèrent retourner au château d’en haut
Le masque sur la face, on sabre le champagne
—
.
Lehcim Nohcuaf aimait sa spirale
Il l’entretenait en buvant une bouteille de Ballantine’s
Accompagnée de deux lignes de coke, quotidiennement.
Ainsi chargé, il voyait sa spirale faire la roue
Eblouissante comme un soleil de janvier
Elle tournoyait, langue de feu flamboyante
Alors, il sentait la sueur couler sur son dos
À moins que ce ne soit du sang vermeil
Il détournait le lit d’un fleuve, se faisait enterrer vivant
Pour mieux renaitre d’un simple tremblement
Au contact de la spirale, ses mains cuivrées chassaient la terre
Elles retrouvaient la source, il était heureux
—
Elle était partie de sa Forêt Noire
Dans le Paris Brest qui filait comme l’éclair
Elle tira une langue de chat
Au sacristain, congolais teinté Moka
Lui s’en fichait et rêvait d’Opéra
Miroirs couchés sous un palmier
Ses mains posées sur sa brioche
Echafaudaient des horizons sablés
Alors qu’on approchait de Pithiviers
Le nez dans les mille feuilles de son missel
Elle refusa le pain d’épices du financier
Elle préférait le savarin
Hélas en descendant du train
Elle ne vit pas la marche
Et ce fut la bûche
Sans grand marnier, une vraie tuile !
—
Le bol bleu
Monter dans un grenier, c’est comme monter dans un avion
Au lieu des rires des passagers, de l’air pressurisé
On entend les rires des poutres et le bruit de soie du vent
Le voyage est plus court que les souvenirs anciens
Tiens, je croyais pourtant avoir remplacé la vitre du vasistas
Le bol bleu à l’anse brisée, une publicité bébé Cadum
Des liasses de feuilles d’impôts sur un pot de chambre
Tout est à sa place, les lettres de ma grand’mère
L’encre oscille entre le mauve et le sépia »
Elle avait une belle écriture, appliquée, penchée,
Comme elle l’était sur moi quand elle me prenait sur ses genoux
Pour me faire oublier que les tombes bombaient au hasard »
—
Le fanal s’effaçait
Comme un soleil déchu, le fanal s’effaçait
Laissant la place aux ombres que la mer enlaçait
J’ai vu le grand navire essuyer l’océan
Les abîmes s’ouvraient accueillant ce géant
.
J’ai survécu pourtant couché sur une planche
Buvant de l’eau salée pour que ma soif s’étanche
Je respirai les îles avant que de les voir
Car les arbres mouillés formaient un encensoir
.
Des volutes de thym, effluves de garrigue
Prophétisaient la côte formant comme une ligue
Où mes sens apaisés semblaient trouver secours
Je me sentis léger oublieux du parcours
.
La forme tourmentée d’une calanque voisine
Forteresse élancée de couleur grenadine
Rappelait par son port l’éclat de ce château
Qui vit partir un jour mon séduisant bateau
.
L’écume servait de lit au rocher silencieux
Qui brillait calme et pur sur le flot harmonieux
Comme l’horizon mourait, le sable m’accueillit
Et je sus que j’avais découvert mon pays
Au placard
La vie aura eu ce goût particulier des amandes pilées
Cette odeur salée sucrée des placards oubliés
Le mariage des coquillettes et des coquilles
La danse des bâtons racornis des vanilles
.
Râpeuse comme ma joue
De la noix de cajou
Des sachets desséchés
Des épices réprimées
.
Des dangers périssables
Des safrans véritables
Des confits d’oie, des confitures
Des conflits durs, déconfitures
.
Hêtre en placard, être en prison
Une précision, un presse citron
Un malin, des amulettes
Un moulin, des allumettes
.
Et sur la dernière étagère
Entre chimère et gruyère
Un cercle rouge sur le vichy
Du temps perdu qui fuit
.